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Trouvailles
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PARU dans le N° 104 de la REVUE de GENEALOGIE
LORSQUE L'ENFANT PARAÎT
LA MERE LA SAGE - FEMME ET L'ACCOUCHEUR
Regardez bien cette gravure. Un enfant vient de naître, dans la
campagne du
XVIIIè siècle. Ce pourrait être notre ancêtre. Les « mouches » réconfortent
l'accouchée pendant que la «matrone» s'occupe du bébé.
Qui sont elles, que font-elles ? Chantal Cosnay vous le raconte ce
mois-ci.
A l'heure de l'accouchement, des personnages nouveaux entrent en scène
: la
sage femme, puis l'accoucheur, alors que les règles de l'Église et
la
communauté villageoise ou familiale, affirment à nouveau leur
emprise.
L'accouchement
C'est toujours, l'inconnu, la peur, peut - être la mort. Les
"mouches "
jolie appellation pour les femmes du village, commencent à s'affoler,
ayant
senti que le moment est venu. Parce que l'accouchement, c'est d'abord
une
histoire de femmes; et ce jusqu'à la fin du XVII' siècle.
Les générations se retrouvent à l'occasion de chaque naissance. La
venue au
monde se déroule devant les voisines, venues aider et commenter. Cela
fait
partie du code des bonnes manières. En observant les distances et les
préséances, les femmes se saluent et prennent place , chacune selon
son rang
et dignité ). Le moment de la naissance permet l'épanouissement de
la
sociabilité féminine car l'accouchement est un acte communautaire et
d'entraide.
Le médecin est encore rare : parmi les nouvelles pratiques qui
s'offrent, la
communauté des femmes choisit celles qu'elle peut adopter. Rien de
tout à
fait étranger ne peut être intégré à un système qui se veut cohérent
et qui
doit l'être, puisqu'il est fait pour rassurer Seuls les milieux
urbains ou
favorisés peuvent avoir recours à l'accoucheur.
Magie et superstition entourent l'accouchement comme tous les actes de
la
vie quotidienne. Talismans, roses de Jéricho, breuvages, prières,
sachets
d'accouchée contenant des poudres de Dieu sait quoi, agates, racines
de
mandragores, etc., sont liés à des pratiques pré chrétiennes pour
faciliter
l'accouchement
L'Église s'efforce d'éliminer les superstitions en les
christianisant ;
l'antique peau de serpent est remplacée par la ceinture de sainte
Marguerite, portée même par les reines de France.
Autre exemple, on utilise les vêtements du mari pour être < plus
tôt
délivrée de son fruit ».
Souvent poussées par la nécessité de travailler, certaines femmes
ne cessent
guère leur activité à l'approche du terme. Les couches ne
signifient trêve,
repos et pouvoir sur l'entourage que pour quelques favorisées..
Lorsque tout s'est bien passé, l'événement est un triple succès :
la femme
est mère (donc elle n'est pas stérile), l'enfant est vivant, la mère
est
vivante.
Le régime alimentaire de l'accouchée est réglé par la coutume. En
Languedoc,
on lui donne trois cuillerées d'huile d'amande douce avec du sucre
candi.
Ailleurs, un bouillon de chapon ou de poule, ou des jaunes d'oeufs
sucrés ou
encore une "rotie", (soupe de pain trempée dans du vin).
Certaines femmes peuvent retirer de l'accouchement des «
sous-produits » :
par exemple, l'arrière-faix (le placenta) et le cordon, parés de
toutes les
vertus guérisseuses, et qui pouvaient entrer dans la composition
d'onguents
secrets
La sage-femme
Avant l'apparition de l'accoucheur (à la fin du XVII' siècle), la
spécialiste de l'accouchement, c'est la matrone. La "bonne femme"
a la
confiance du village.
Souvent détentrices d'un savoir-faire acquis avec le temps,
apaisantes par
leurs propres expériences passées bien intégrées à la
communauté féminine,
les sages femmes offrent l'avantage de créer un climat psychologique
favorable. C'est la mère de l'accouchée qui choisit la matrone
Le mouvement de la Contre-Réforme catholique fera passer la
sage-femme sous
le double contrôle de l'Église et de l'État. D'auxiliaires supposées
de la
subversion, des avortements, des infanticides, des accouchements
clandestins
et des abandons, elles deviennent, vers 1650, des instruments de la réforme
catholique. Défense est faite alors aux protestantes d'exercer ces
fonctions.
Après 1650, l'Église encourage l'institution officielle d'une
matrone
villageoise, admise après un examen moral. Le curé exige qu'elle
connaisse
les formules du baptême pour ondoyer en cas d'urgence : elle prête
serment
en présence des femmes réunies à l'église. Elle doit être de
bonne moralité,
accourir au premier appel, donc être disponible. Elle doit être mariée,
(ou
veuve), et avoir été mère. Le curé s'assure qu'elle est assez
bonne
chrétienne pour ne pas monnayer son savoir à des fins abortives.
Mais sa
compétence professionnelle est laissée au hasard.
Son matériel indispensable comprend du linge, la layette, des
ciseaux, de
l'huile et du beurre, dont elle oint ses doigts, de l'eau pour
ondoyer,de
l'eau de vie pour ranimer.
En principe, elle aurait dû recevoir un enseignement dans un collège
de
chirurgiens, mais ce n'était le cas que dans les grandes villes. En
principe
également, elle doit être sobre et propre. Mais les médecins
insistent sur
leurs ongles qui "déchiraient" fréquemment la membrane
retenant les eaux,
soit par accident, soit pour hâter la délivrance.
Quelques édits (1664, 1667 et 1692) renforcent et sanctionnent la
formation
de ces sages-femmes par des examens. Mais la masse rurale reste réfractaire.
En Anjou, à la fin du XVIII è siècle encore, les communautés
villageoises
refusent presque toutes d'assumer les frais de formation des
sages-femmes
(François Lebrun).
" S'il s'était agi de former des vétérinaires, elles auraient
accepté ",
note un observateur désabusé. De fait, une femme se remplace en
trois mois
et un enfant en un an, mais une vache ! Comme le dira au XIXè siècle,
la
chanson de Pierre Dupont,"Les boeufs"
J'aime Jeanne, ma femme, Et bien ! j'aimerais mieux la voir mourir que
voir
mourir mes boeufs.
Les chirurgiens
Ils dénoncent les accoucheuses qu'ils accusent de déchirer et d'écorcher
les
nouveaux nés, de les décapiter, de leur briser les membres, et plus
généralement d'être inaptes. Les témoignages sur l'incapacité des
matrones
abondent, au point que Louis XIV se méfie d'elles et, en 1663, fait
appeler
un accoucheur pour les couches de Mlle de la Vallière. Il en lance
ainsi la
mode d'abord à la cour, puis à la la ville. Mais la crainte d'être
touchée
par un homme reste très forte. La pudeur, jusqu'au XVIII'è siècle,
interdit
leur présence et pour tourner la difficulté, l'accoucheur opère
sous le
drap.
Le XVIII' siècle verra donc une progressive dépossession des sages femmes
au profit des chirurgiens accoucheurs. Un phénomène caractéristique
de
l'époque sera la confiscation par les hommes du droit exclusif
d'exercer un
métier où, auparavant, les femmes étaient en nombre. Le phénomène
a d'abord
lieu en ville et dans les milieux aisés.
Dans les campagnes, la résistance est plus forte, là où l'espace féminin
et
l'espace masculin sont bien circonscrits et respectés. Ces réticences
viennent autant du mari, jaloux de l'intimité de son foyer, que de
l'accouchée craintive, ou de la sage-femme craignant la concurrence.
En
outre, on veut éviter des dépenses.
C'est dans les hôpitaux, et principalement à l'Hôtel-Dieu de Paris,
que les
chirurgiens exercent et acquièrent l'expérience qu'ils revendiquent.
Les
sages-femmes commencent " le travail" et ils interviennent
lorsqu'il faut
instrumenter : utiliser le crochet pour extraire l'enfant, mort ou
vif,
ouvrir la mère morte pour en extraire l'enfant et le baptiser et,
plus tard,
utiliser les forceps. Les femmes ne doivent user d'aucun instrument.
En
1755, un arrêt du parlement de Paris leur interdit l'exercice de la
chirurgie.
Au XVIlle siècle, la connaissance fait des progrès décisifs
permettant de
triompher de l'ignorance et de la souffrance. Les accoucheurs, du côté
de la
science et de l'instruction, se dressant contre l'obscurantisme
analphabète
des matrones, voient leurs rangs augmenter. Après les villes, ils
gagnent
peu à peu le Nord, la Normandie... Mais leur implantation reste
partout très
ponctuelle.
Les progrès
De 1759 à 1783, Madame du Coudray, maîtresse sage-femme brevetée
par le roi,
se déplace de ville en ville, formant chirurgiens, accoucheurs et
sages-femmes, à l'aide d'un mannequin de démonstration articulé,
permettant
de simuler les phases de l'accouchement. On forme deux cents
chirurgiens démonstrateurs et au moins douze mille sages-femmes qui
s'installent surtout en ville ; mais leur nombre reste bien
insuffisant
Deux chirurgiens accoucheurs célèbres écrivent des traités :
Mauquest de la
Motte (Traité des accouchements, 1765) et Baudelocque (Principes
sur l'art d'accoucher, 1775, la bible de plusieurs générations
d'accoucheuses).
Ils conviennent tous deux qu'il faut l'exercice de la
chirurgie.adopter les
habitudes du lieu où l'on
exerce et souhaitent au moins que par de douces paroles, on réconforte
la
parturiente.
L'écossais Alex Gordon, en 1795, Sellem Weiss, vers 1850, proposent
la
désinfection des mains et des vêtements des accoucheurs : on se
moque d'eux.
Seule une meilleure asepsie, vers 1880, permet de faire chuter
brutalement
la mortalité des femmes en couches.
Accidents et incidents
La fréquence des accidents à la naissance est plus grande
qu'aujourd'hui,
avec des risques de mortalité ou de stérilité. Ni antisepsie, ni
anesthésie.
Les cas difficiles représentent 2 % (contre 1 pour 1 000 aujourd'hui)
; soit
environ 500 accouchements à risque sur les 25 000 annuels à Paris
vers 1780.
L'un des accidents les plus redoutés est l'enroulement du cordon
autour du
cou de l'enfant..
Les crochets servent à tirer l'enfant mort, pour au moins sauver la mère.
Certains curés soutiennent qu'on ne doit pas hasarder la vie de
l'enfant
pour sauver celle de la femme, car un enfant ne peut être baptisé
que
vivant. D'autres prédicateurs affirment qu'on peut le baptiser sans
le voir,
en versant de l'eau dans l'utérus.
La chute de la matrice se produisait lorsque la parturiente avait fait
trop
d'efforts ou se levait trop tôt après ses couches. La mère peut
encore
mourir d'hémorragie, de fièvre par exemple la fièvre puerpérale,
contagieuse, est due au manque d'hygiène et à la pauvreté. Les
mains
malpropres véhiculent les contagions sans qu'on le sache.
Personne ne se
lave les mains, les pansements ne sont pas stérilisés. Les potions
sont
composées à partir de recettes de sorcières, de toiles d'araignées,
de
feuilles, de bêtes pilées (à propos de toiles d'araignée, on a démontré
récemment qu'elles contenaient de la pénicilline !). On comprend
pourquoi la
mortalité féminine fut nettement supérieure à la mortalité
masculine, dans
la tranche d'âge 20-35 ans. Vers 1600, dans la région parisienne,
une
primipare sur huit meurt en couches. En moyenne, on compte une morte
en
couches pour 80 baptêmes ; une femme ayant environ entre sept et dix
enfants, une sur dix meurt donc en couches.
En cas de difficultés, et après une ou deux journées de douleurs,
c'est la
mère de l'accouchée qui fait appel au chirurgien. Il n'intervient
que dans
les cas graves, dans les accouchements dits "contre nature
". C'est le mari
qui, dans tous les cas, prend les décisions importantes (sacrifier la
mère
ou l'enfant)
En cas d'extrême difficulté, on a recours à la césarienne. Jusque
vers 1730,
l'église et les chirurgiens la considèrent comme un meurtre. Elle est
interdite aux matrones sur les femmes vivantes. On laisse donc mourir
la
mère et dans la minute, le foetus est tiré de son ventre pour être
baptisé
vivant ; l'opération dure « le temps d'un Ave ». Baptisons le
nouveau
chrétien dont l'âme a plus d'importance que la vie de sa mère !
C'est son
salut éternel qui est en jeu. Cette opération chirurgicale relègue
les
sages-femmes à l'arrière-plan.
Après 1730, la césarienne apparaît comme salvatrice ; elle est
pratiquée à
Paris, 1 fois sur 3 445 accouchements, soit sur environ 25 000
accouchements
annuels à Paris, environ 7 fois par an. La mère meurt dans 80
% des cas. La
femme de l'architecte marseillais, Pierre Puget, morte en couches,
avait
subi une césarienne. Il faut attendre la fin du XIX' siècle pour
qu'elle
devienne pratique courante et réussisse à sauver et la mère et
l'enfant.
Théorie et pratique
La théorie médicale croit que le mécanisme de l'accouchement ne dépend
que
de l'enfant. Lorsque tout se passe bien, les accoucheurs sont d'avis
de
laisser faire la nature. Recettes et secrets de bonnes femmes
sont
utilisés, massages, compresses chaudes, etc. La position peut varier,
pourvu
qu'elle soit efficace : la femme, en tenue de jour, peut-être debout
les
mains accrochées au cou d'une compagne, couchée, assise en utilisant
une
chaise percée pour accoucher (l'Alsace et les pays germaniques y
restent
fidèles jusqu'aux XVIII" et XIX' siècles) ou encore à genoux,
les mains
appuyées à terre ou à une chaise ou à une barre de bois attachée
à la
cheminée : ainsi la femme utilise la force de ses jambes et de son
diaphragme pour expulser l'enfant. Cette position à genoux était
encore
pratiquée dans les campagnes berrichonnes au XVIII' siècle.
Avec la Contre-Réforme apparaît la notion de pudeur. Le médecin
ou le
chirurgien, qui représentent l'élite et le savoir, témoignent de
leurs
réprobation et hostilité à l'indécence de la posture à genoux ;
l'un d'eux
écrit en 1786 : « cette méthode est indécente et répugne à
l'humanité ».
L'interdit que certains veulent jeter sur les postures à genoux a
bien pour
cause première la recherche d'une attitude décente, la plus éloignée
possible de l'animalité.
Au cours du XVIIè siècle, les accoucheurs imposent peu à peu la
position
couchée sur le dos, comme étant la seule moralement acceptable.
C'est celle
qui facilite la médicalisation de l'accouchement et l'utilisation des
instruments. La liberté d'action de la femme en couches est désormais
contrôlée et toute attitude indécente qui « répugne à l'humanité
»
sévèrement condamnée. Les femmes sont crispées et marquées
par les tabous
qui entourent leur partie intime. Mais en cas d'accouchement
difficile, les
chirurgiens ont encore recours aux postures traditionnelles à genoux.
La
souffrance est voulue et amplifiée. On dit aux femmes de crier. C'est
la
justice » de Dieu qui s'exerce : " Tu accoucheras dans la
douleur ".
L'homme de guerre donne sa vie, la femme expose la sienne. Mais Eve a
beaucoup plus péché qu'Adam, c'est donc par justice que Dieu a dit
à Eve "
Vous n'enfanterez que dans la douleur". Cette douleur est le
rachat des
péchés, le rachat de la faute originelle ("c'est Dieu qui t'a
punie.")
Bibliographie
Jacques Gelis,L'Accouchement au XVIII' siècle , pratique
traditionnelles et
contrôle médical
Ethnologie française, 1976, VI 3-4
Jacques Gelis, Sages et Accoucheurs, l'obstétrique populaire aux XVII
è et
XVIII è siècles
Annales E.S.C., 1977, 5.
Mireille Laget, Naissances, l'accouchement avant l'âge de la clinique
Seuil coll. l'Univers Historique 1982
Jacques Gelis Mireille Laget et Marie France Morel
« Entrer dans la vie, naissances et enfances dans la France
tradîtionnelle »
Gallimard, coll.Archives, 1978, 39,30 F
Jacques Gelis, La formation des accoucheurs et des sages-femmes aux
XVII et
XVIII è siècles : Annales de démographie historique 1997 pp
154-180.
==========================================================
Il y a un article fort intéressant sur les
sages-femmes dans l'excellent
ouvrage de Jean-Louis BEAUCARNOT, Ainsi vivaient nos ancêtres., qui
traite
de la profession également en province :
"UNE FEMME QUI NE RASSURE NI LES MÈRES NI LES POULES"
: LA MATRONE
L'accouchement solitaire, survenant par exemple aux champs au moment
du
ramassage de l'herbe, est rare. Dans le passé, il est au contraire
largement
public. Il se déroule chez l'accouchée, quelquefois chez ses parents
(en
milieu plus bourgeois, au XIXè siècle, et seulement pour le premier
enfant).
Cet accouchement est l'affaire des femmes. Le mari n'y assiste pas,
mais
reste à proximité. C'est lui qui va chercher le prêtre au presbytère
Si les
choses prennent un mauvais tour. Pas d'autre homme, même compétent,
ne
saurait y être admis. D'ailleurs, seules les femmes mariées ou
veuves
peuvent être dans la pièce où repose l'accouchée. Les jeunes
filles en sont
formellement exclues. Bien souvent une sage-femme, ou du moins une
matrone,
est à la tête de cette escouade de femmes.
La matrone, ou encore la bonne mère, est l'ancêtre de la sage-femme
qui
n'apparaît quant à elle que tardivement. On entend, par sage-femme,
quelqu'un de compétent et de qualifié. Au XVIIIè siècle, très
rares sont
celles qui peuvent se vanter de sortir de l'Hôtel-Dieu (de Paris>
et
garantir ainsi des connaissances. Aucune école n'enseigne l'art de
l'accouchement, au point qu'une femme experte, Mme Du Coudray,
scandalisée
de l'ignorance de ses consoeurs, rédige un traité complet sur ce
sujet et,
de 1759 à 1783, prend son bâton de pèlerin pour un tour de France
de
formation et d'enseignement des aspirantes accoucheuses. Malgré cela,
les
progrès sont lents principalement dans les campagnes où, jusqu'à
une
période très récente, on continue à accoucher chez soi, et plutôt
que
d'aller dans les maternités laissées aux misérables et aux sans
famille, on
appelle le médecin du bourg voisin.
La matrone de village est généralement choisie parmi les femmes âgées
et qui
ont eu beaucoup d'enfants. Sa formation se limite souvent à avoir
assisté
une autre matrone. Devant souvent donner le baptême aux enfants en
danger de
mort, il est capital qu'elle soit bonne catholique et vertueuse, ce
dont
l'église s'assure. D'ailleurs c'est souvent le curé qui l'institue
officiellement, à moins que celle-ci ne soit élue par l'assemblée
des
paroissiens après la messe du dimanche, comme c'est le cas en
Lorraine. De
toute façon, elle doit prêter serment sur les saints Évangiles.
Matrone ou sage-femme, le personnage est entouré d'une autorité évidente.
La
seule vue de sa panoplie n'a-t-elle pas longtemps le don de remplir de
crainte et d'effroi? En effet, le problème le plus fréquent qui se
pose lors
d'un accouchement est celui du passage de la tête du bébé dans le
bassin
maternel. Pour sortir l'enfant, la matrone exerce des pressions sur le
ventre de la mère, ou bien elle s'aide d'un instrument pour tirer le
corps
de l'enfant, au prix d'un véritable martyre pour la femme qui
conservera des
séquelles à vie. Parfois le bébé lui-même est à moitié déchiqueté.
Parmi les
instruments de la « bonne mère » le crochet d'une pelle à feu,
celui d'une
balance romaine ou d'une lampe à huile, sans désinfection préalable
Au
moindre faux mouvement, l'instrument risque de riper et de déchirer
le col
de l'utérus. On comprend que leur seule évocation suffise à
terroriser les
accouchées.
Aux XVIIè et XVIIè siècles apparaissent des instruments « d'art »,
comme le
tire-botte à trois branches, puis les leviers et forceps, conçus
pour "
avoir l'enfant vivant>, mais à condition encore de savoir les
utiliser et de
les employer au bon moment. La césarienne ou « accouchement sur le côté
»
est extrêmement lente à être mise au point et reste longtemps l'opération
pratiquée en cas de désespoir. En obstétrique comme en médecine générale,
la saignée de la femme enceinte demeure jusqu'au XVIIIè siècle le
remède le
plus pratiqué et le dilemme tragique « sauver la mère ou l'enfant
» est
résolu au cas par cas selon des critères pour le moins arbitraires.
Quoi qu'il arrive, la suprématie de la matrone reste longtemps
inattaquable. A son arrivée, c'est elle qui décide de la pièce et
du lieu
d'accouchement. Elle exhorte la mère à ne s'asseoir ni se coucher
jusqu'au
dernier moment. Elle lui fait réciter ses prières. Pour accélérer
le
travail, il arrive même qu'elle la fasse promener sur une charrette
par les
chemins cahoteux. Elle vérifie aussi que l'on a bien préparé des
linges, des
bassins remplis d'eau, des toiles et de vieux chiffons qui serviront
à
essuyer les cuisses de la femme puis à nettoyer le sol ou le
plancher. Le
lit ou la paillasse doit être placé devant l'âtre, qui garantit
lumière et
chaleur. Devant le lit, elle fait placer une chaise renversée qui
sert de
dossier à son appareil gynécologique rudimentaire.
Ces problèmes réglés, notre fée du logis se précipite dans la
cour de la
ferme et y course une poule à laquelle elle tord le cou pour préparer
un bon
bol de bouillon à la parturiente et, pour se soutenir, elle se fait
une
bonne tasse de café ou à défaut (notamment avant son apparition
dans les
campagnes) s'enfile un bon verre de gnaule, pour ne pas dépérir, ce
qui ne
serait guère indiqué dans ces moments-là. Il faut se prépare?, et
de fait
toute notre volière de femmes réunies caquette allègrement jusqu'à
ce que
l'héroïne donne des signes suffisamment éloquents pour les rappeler
à ses
côtés."
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